mercredi 23 janvier 2019

Le droit d'être un homme

Je sais bin pas ce qui a pu se passer à la conception dans le corps de ma mère. Quoi qu’il en soit, il y a eu une erreur dans la fabrication. Toutes les apparences ont laissées croire que j’étais une fille, mais du plus loin que je me souvienne, j’aurais voulu naître garçon. Et non un garçon manqué comme s’amusait à dire mon père.
Mon enfance a été joyeuse. J’adorais jouer dehors et quel plaisir que de se salir. Pour les occasions spéciales, on m’habillait en robe. Je n’en faisais pas de cas, mais je ne portais pas une attention particulière à garder ma tenue propre. Il m’est même arrivé à quelques reprises de vomir sur mes beaux habits. Ma mère était alors bien obligée de me changer. J’étais une gamine très énergique aux dires de plusieurs. Mes cousins et mes cousines aimaient ma compagnie, je débordais de vie. Je ne perdais pas mon temps à me poser des questions, j’accomplissais simplement le travail de tout enfant ; je jouais. Par moment, l’envie me prenais d’aller offrir un coup de main à mon père lorsqu’il travaillait au garage. Mon grand frère n’y voyait pas grands intérêts, mais moi, l’idée de me rendre utile et surtout, le potentiel de salissure me poussait à aimer la mécanique.



Justement, parlons-en de mécanique. Il doit y avoir eu tout une job de ‘’body’’ à faire au véhicule dans lequel je me suis trouvé lors d’un accident. J’avais alors 8 ans. Ma carrosserie à moi a été un peu abîmée, mais bon, j’ai gardé tous mes morceaux. À l’intérieur, ça me semblait un peu déraillé. Je n’étais plus comme avant, j’avais l’impression d’être lâche. J’étais toujours devant la télévision. Peut-être cette dernière me réconfortait, me distrayait, mais le bonheur n’était certainement pas dans cette boîte à grimaces. Toutefois, ma conscience prenait note que l’image qu’on y voyait des femmes ne correspondait pas à ce que je voulais être. Pas besoin d’un diplôme pour remarquer qu’on montre trop souvent la femme comme un objet. On dirait que la société toute entière laisse croire qu’on peut prendre possession du corps féminin. Je crois personnellement que les femmes ne sont pas traitées à leurs justes valeurs, encore aujourd’hui.
Je n’ai pas cherché à plaire ni même à déplaire à qui que ce soit. J’ai seulement voulu me respecter et m’approcher le plus possible de mon authenticité. J’ai choisi un métier traditionnellement réservé aux hommes. Les railleries de mes collègues m’agressaient. Pour eux, je n’étais qu’une fille qui se prenait pour un garçon. Ma réalité était tout autre, j’étais plutôt un garçon pris dans un corps de fille.


Il y a quelques années, j’ai fait le grand saut; un changement de sexe. Depuis, je me sens en accord avec moi-même. Je veux regarder devant et foncer à vive allure vers les prochaines destinations. Si ça se trouve, je n’ai que le tiers du chemin de parcouru. Le rétroviseur, très peu pour moi, ce qui est passé, n’existe plus. Je veux profiter du temps présent avec une compagne de vie si ce n’est pas trop demandé. Une femme avec qui je partagerai le volant assurément. Un homme pur laine

mercredi 16 janvier 2019

Quand les piliers de la famille deviennent des anges


Le 24 au matin, j’ai proposé à ma fille d’aller visiter ma grand-mère maternelle. Je savais qu’elle n’en avait plus pour longtemps à vivre. J’ai expliqué à ma grande qui aura bientôt 4ans, que son arrière-grand-mère n’allait pas très bien et qu’elle nous quitterait sous peu. Très vite, les larmes lui montèrent aux yeux. ''Je ne veux pas qu’elle meure." Malgré la maladie d’Alzheimer, la mémoire émotionnelle de ma grand-mère était merveilleusement bien ravivée quand nous allions la voir. Les heures passées avec elle étaient souvent magiques. Les fois où elles se prenaient main dans la main. La fois où elles ce sont collé le front en se disant leur amour. Quand elles s’offraient mutuellement le même chocolat. Le jour où ma grand-mère à peigné avec douceur les cheveux de son arrière-petite-fille. Mais aussi, ces moments où elle restait de glace devant cette petite qui tentait en vain d’entrer en contact avec elle. Heureusement, le poupon que je tenais dans mes bras parvenait toujours à la sortir de sa torpeur.
J’ai cherché à consoler mon enfant en lui demandant quel serait l’animal dans lequel l’esprit de son arrière-grand-mère voudrait se loger. Étant fans du film ‘’Moana’’ de Disney, je lui ai rappelé que la grand-mère de l’héroïne avait choisi d’être une magnifique raie aux couleurs bleutés. Plutôt que de me répondre, une lourde larme tomba sur sa joue. "Est-ce que tu veux un câlin?" Toujours capitonnée dans son silence, elle alla se lover sur le sofa juste à côté. "Tu sais, ma grand-maman a hâte d’aller rejoindre sa maman au ciel. Il faut penser à elles." Je venais de dire la bonne phrase qui lui permit de donner un sens positif à sa perte éminente. Après quelques minutes à réfléchir chacune de notre côté, elle me dit : "Maintenant je ne suis plus triste. Je comprends qu’il faut penser aux autres." "Tu as le droit d’être triste et de comprendre tout à la fois." Je l’étreins tendrement.


Tout juste remises de nos émotions, mon mari rentre dans la maison et m’apprend le décès de ma grand-mère, survenu aux petites heures du matin. Cette fois-ci, c’est moi qui ai senti l’envie de me retirer. Le besoin de coucher quelques mots sur papier se faisait sentir. Le résultat est un texte que j’ai lu à l’église quelques jours plus tard. J’aurais voulu m’adresser à l’assistance avec plus d’assurance, mais l’intensité du moment était si présente.

Petit cœur à l’âge d’or
Tu fais tic, tu fais tac
Petit cœur dort, tu peux battre en retraite.
 Enfin, vous êtes parvenue à rejoindre votre mère, Olive.
 Je tenais à vous remercier d’avoir mis au monde vos enfants. Qui a leurs tours, nous ont fait naître. Merci à toutes mes ancêtres d'avoir pris soins de notre monde. Je m'engage à vous faire honneur et à poursuivre votre quête d'amour bienveillant.
C’est votre arrière-petite-fille, ma fille, qui est la plus chanceuse ; vous m’avez aidé à la faire grandir d’une façon bien particulière. C’est elle qui vous appelait affectueusement Grand-maman casse-tête. Aujourd’hui j’y découvre le double sens. En effet, par votre résistance et votre entêtement, paradoxalement, vous lui avez appris l’acceptation et le lâcher-prise. Comme je l’ai déjà dit, c’est dans les défauts que les êtres se révèlent et nous font cheminer. Vous avez semé en nous des valeurs inestimables qui prennent racines au plus profond de nous, qui se décuplent et se propagent telles des semences laissées au vent. Vous avez accompli bien plus que vous ne l’auriez cru en aimant autant.


Six ans auparavant, j’étais exactement au même endroit. C’est à ma grand-mère paternelle que je rendais un dernier hommage. Sa mémoire n’a jamais fait défaut et c’est ce qui me fascinait chez elle. Une autre femme très inspirante, le pilier de notre famille. Je la remerciais entres autres, de nous avoir enseigné la solidarité, une valeur primordiale pour la pérennité de l’être humain. S’adresser ainsi, pour une dernière fois à l’être cher n’est pas facile. C’est un processus de deuil intense, mais combien bienfaiteur quand on le vit en profondeur.
                                                                                    Une maman qui a maintenant le cœur léger