mercredi 25 novembre 2020

Ces maux

 Je vous parle d’un temps  

Que les moins de vingt ans 

Peuvent encore connaître  

Mon ventre en ce temps là 

S’accrochait sous ses doigts 

Jusqu’à ne plus vouloir y être 

Et si le satané lit 

Qui lui servait de nid 

Sentait un peu la vermine 

C’est là qu’il est venu  

Moi qui criais en sourdine  

Et lui qui était nu 

 

Vous aurez peut-être remarqué une ressemblance avec un des grands succès de Charles Aznavour. Ici, plutôt que de faire référence à la bohème, j’ose introduire un sujet beaucoup moins idyllique; l’inceste. 

Durant trop d’années j’ai tenu le silence. J’ajouterais que trop de mal a été causé par la violation de mon trop jeune corps. Et que dire du trop grand nombre de cas comme le mien. 



Enfant, j’ai eu l’innocence de croire que je devais me laisser faire pour ne pas attirer le malheur sur ma famille. D’ailleurs, j’ai cru que l’amour d’un père c’était ça; des mains baladeuses et caressantes. Pourtant, à chaque fois, il me restait une étrange impression d’être fautive en pus de celle d’être souillée. 

Jeune adulte, j’ai eu envie de disparaître. J’avais le poids du secret qui m’écrasait. J’avais réussi à m’éloigner physiquement de mon père et de mes frères. J’étais psychologiquement vulnérable. Je me considérais comme la lie de la société. C’est là qu’est apparu une pathologie mal connue à l’époque; l’anorexie. Ce mot m’était inconnu à cette période de ma vie. J’avais tant maigri qu’enfin j’avais l’impression d’avoir du contrôle sur mon corps. Mais ce qui m’apparaissait comme étant du pouvoir exercé sur moi-même était en fait de l’autodestruction.  

Devenue maman, je me suis promis de faire mieux que mes parents. J’allais outiller mes enfants pour que personne n’abuse d’eux. Même si j’aimais mon mari plus que tout, je n’avais pas une confiance absolue en lui. Quand la marmaille fut assez âgée, la règle dans la maison était de tout dire à maman, même s’il venait qu’à arriver le pire. 

Dans les derniers jours de vie de mon père, j’aurais souhaité qu’il me demande pardon. J’aurais aimé qu’il reconnaisse m’avoir fait du tort. Malheureusement, trop de parents considèrent que leur progéniture est l’extension de leur propre personne. Mon paternel était probablement de ceux qui croient que les enfants leur appartiennent et qu’ils peuvent en disposer à leur guise. Pourtant, j’ai la conviction que ce sont les enfants de l'immensité et qu’ils ne nous sont que prêtés pour que nous les élevions avec confiance et bienveillance. Il est de la responsabilité de tous de s’assurer que chaque petit être puisse grandir en sécurité pour développer son plein potentiel. Je n’ai pas eu cette chance. J’ai l’impression de m’être fait voler mon enfance. Ma vie n’est que désolation. J’ai bien essayé maintes thérapies, mais la douleur est incrustée en moi. J’ai sincèrement voulu pardonner à mon père, afin de me sentir en paix intérieurement. Mais à chaque fois que je crois y être parvenu, de nouveaux événements viennent fragiliser ma guérison. 

Je n’en ai jamais voulu à ma mère. Elle a fait de son mieux pour nous protéger. Elle ne s’était jamais aperçue que l’inceste s’était immiscé sous son toit. Par contre, je n’en avais pas la certitude. Quelques mois après le décès de mon géniteur, j’ai senti le besoin de me confier à maman. Je devais vérifier si elle avait eu connaissance des actes incestueux commis dans la famille. Je ne savais pas comment elle allait réagir, mais il était devenu impératif de m’alléger par cette révélation. Ma mère est littéralement tombée des nus. D’abord, elle en a eu le souffle coupé. Puis, elle cherchait à nier tous ce que je lui racontais. Ensuite, elle se confondait dans les excuses. Ce fut vraiment un choc pour elle. Au point où, je me demande si ce n’est pas à cause de cette douloureuse vérité qu’elle s’est mise à avoir des pertes de mémoire. Comme si son cerveau avait cherché à effacer les informations trop dures à digérer. Ça a commencé par de petits oublis au quotidien. Quelques années plus tard, un diagnostic d’Alzheimer est venu assombrir le tableau familial. Notre mère était maintenant devenue un peu comme notre enfant. J’échangerais volontiers de place avec elle. Ne plus avoir souvenir de ce qui a terni mon existence. 

Je ne témoigne pas dans le but de me faire plaindre. J’aimerais tellement que ces mots n’aillent pas eu à être écrits. La réalité est que les maux associés à l’inceste sont bien présents et peuvent gâcher des vies entières. Ce n’est pas à prendre à la légère. S’il vous plait, ouvrez la discussion avec votre conjoint ou votre conjointe afin de ne pas banaliser ce sujet d’une importance sans borne.  



Sans doute serez-vous aussi surpris que moi de l’anecdote que voici. Un jeune père en boisson a dit tout bonnement à un homme plus âgé qu’il était du devoir d’un père de dévierger sa fille.  Heureusement, des démarches ont rapidement été faites pour que le père en question ne puisse plus voir ses filles. Le confident a fait son devoir de citoyen en dénonçant cette mentalité malsaine. Restons vigilant, le bonheur de nos enfants est à préserver. 

                                                                                                                                                             Solie Taire 

mercredi 11 novembre 2020

Dire merci

L'Homme, Adn, Spirale, Biologie, Fusionner, Points DeOn gagnerait, maman, à revenir à ta sagesse qui voulait qu'il n'existe pas sur la terre une famille parfaite. Tu recommandais de réserver une place pour la chicane et une autre pour la réconciliation comme façon de célébrer les hauts et les bas d'une famille. C'est ce discernement qui devait guider nos actions et nos interactions avec notre biodiversité corporelle. Comme tu dis souvent, à force d'élaguer tous les membres de sa famille, on finit par se retrouver tout seul. Or, c'est quand on est isolé qu'on est vulnérable. Tous les grands prédateurs de la savane savent qu'il est plus facile d'attraper une proie si on l'éloigne de sa famille. Tu ne le sais pas, maman, mais pendant que j'étais au chaud dans ton ventre en cette année 1965, des cellules de ton système immunitaire capturaient des bactéries dans tes entrailles pour me les servir dans ton lait. Ces cellules dites dendritiques transportaient des bactéries de ton ventre vers tes tissus mammaires, où je m'abreuvais. Au-delà de la vie, tu m'as aussi donné ces amis dont la descendance lointaine est encore en moi. Tu as hérité ces associés de ma défunte grand-maman. Ta propre mère est partie trop vite, mais elle a eu le temps de te léguer ces parrains microscopiques de remplacement qui te sont restés fidèles. Comme de petites mamans de substitution, elles t'ont nourrie, soignée et ont peut-être apaisé tes larmes d'orpheline. Les bactéries sont à la biodiversité planétaire ce que tu es à notre solidarité familiale. Ma défunte grand-mère a elle-même reçu sa flore originale de mon arrière-grand-mère et ainsi de suite. Si on continue cette généalogie, on verra défiler sur 3,5 milliards d'années des reptiles, des oiseaux, des mammifères arboricoles et, à la fin, des bactéries avec lesquelles tout a commencé. Toi qui aimes les grandes familles, maman, tu seras heureuse d'apprendre que nous partageons des liens de parenté avec tous les êtres vivants qui peuplent la terre. Même les bactéries, les mousses et les champignons ont des liens de parenté avec nous. Tu as raison quand tu dis que personne ne s'est réalisé tout seul dans ce monde et que, par conséquent, il faut prendre le temps de dire merci à la vie, de remercier la Terre-Mère comme on remercie nos mamans de nous avoir donné la vie et de nous avoir enveloppé de leur amour.

Extrait du livre, Pour l'amour de ma mère. Écrit par Boucar Diouf (biologiste, humoriste et écrivain). Les éditions La presse, pages 113 et 114.Lion, Roar, Afrique, Des Animaux, Fauve