Je vous parle d’un temps
Que les moins de vingt ans
Peuvent encore connaître
Mon ventre en ce temps là
S’accrochait sous ses doigts
Jusqu’à ne plus vouloir y être
Et si le satané lit
Qui lui servait de nid
Sentait un peu la vermine
C’est là qu’il est venu
Moi qui criais en sourdine
Et lui qui était nu
Vous aurez peut-être remarqué une ressemblance avec un des grands succès de Charles Aznavour. Ici, plutôt que de faire référence à la bohème, j’ose introduire un sujet beaucoup moins idyllique; l’inceste.
Durant trop d’années j’ai tenu le silence. J’ajouterais que trop de mal a été causé par la violation de mon trop jeune corps. Et que dire du trop grand nombre de cas comme le mien.
Enfant, j’ai eu l’innocence de croire que je devais me laisser faire pour ne pas attirer le malheur sur ma famille. D’ailleurs, j’ai cru que l’amour d’un père c’était ça; des mains baladeuses et caressantes. Pourtant, à chaque fois, il me restait une étrange impression d’être fautive en pus de celle d’être souillée.
Jeune adulte, j’ai eu envie de disparaître. J’avais le poids du secret qui m’écrasait. J’avais réussi à m’éloigner physiquement de mon père et de mes frères. J’étais psychologiquement vulnérable. Je me considérais comme la lie de la société. C’est là qu’est apparu une pathologie mal connue à l’époque; l’anorexie. Ce mot m’était inconnu à cette période de ma vie. J’avais tant maigri qu’enfin j’avais l’impression d’avoir du contrôle sur mon corps. Mais ce qui m’apparaissait comme étant du pouvoir exercé sur moi-même était en fait de l’autodestruction.
Devenue maman, je me suis promis de faire mieux que mes parents. J’allais outiller mes enfants pour que personne n’abuse d’eux. Même si j’aimais mon mari plus que tout, je n’avais pas une confiance absolue en lui. Quand la marmaille fut assez âgée, la règle dans la maison était de tout dire à maman, même s’il venait qu’à arriver le pire.
Dans les derniers jours de vie de mon père, j’aurais souhaité qu’il me demande pardon. J’aurais aimé qu’il reconnaisse m’avoir fait du tort. Malheureusement, trop de parents considèrent que leur progéniture est l’extension de leur propre personne. Mon paternel était probablement de ceux qui croient que les enfants leur appartiennent et qu’ils peuvent en disposer à leur guise. Pourtant, j’ai la conviction que ce sont les enfants de l'immensité et qu’ils ne nous sont que prêtés pour que nous les élevions avec confiance et bienveillance. Il est de la responsabilité de tous de s’assurer que chaque petit être puisse grandir en sécurité pour développer son plein potentiel. Je n’ai pas eu cette chance. J’ai l’impression de m’être fait voler mon enfance. Ma vie n’est que désolation. J’ai bien essayé maintes thérapies, mais la douleur est incrustée en moi. J’ai sincèrement voulu pardonner à mon père, afin de me sentir en paix intérieurement. Mais à chaque fois que je crois y être parvenu, de nouveaux événements viennent fragiliser ma guérison.
Je n’en ai jamais voulu à ma mère. Elle a fait de son mieux pour nous protéger. Elle ne s’était jamais aperçue que l’inceste s’était immiscé sous son toit. Par contre, je n’en avais pas la certitude. Quelques mois après le décès de mon géniteur, j’ai senti le besoin de me confier à maman. Je devais vérifier si elle avait eu connaissance des actes incestueux commis dans la famille. Je ne savais pas comment elle allait réagir, mais il était devenu impératif de m’alléger par cette révélation. Ma mère est littéralement tombée des nus. D’abord, elle en a eu le souffle coupé. Puis, elle cherchait à nier tous ce que je lui racontais. Ensuite, elle se confondait dans les excuses. Ce fut vraiment un choc pour elle. Au point où, je me demande si ce n’est pas à cause de cette douloureuse vérité qu’elle s’est mise à avoir des pertes de mémoire. Comme si son cerveau avait cherché à effacer les informations trop dures à digérer. Ça a commencé par de petits oublis au quotidien. Quelques années plus tard, un diagnostic d’Alzheimer est venu assombrir le tableau familial. Notre mère était maintenant devenue un peu comme notre enfant. J’échangerais volontiers de place avec elle. Ne plus avoir souvenir de ce qui a terni mon existence.
Je ne témoigne pas dans le but de me faire plaindre. J’aimerais tellement que ces mots n’aillent pas eu à être écrits. La réalité est que les maux associés à l’inceste sont bien présents et peuvent gâcher des vies entières. Ce n’est pas à prendre à la légère. S’il vous plait, ouvrez la discussion avec votre conjoint ou votre conjointe afin de ne pas banaliser ce sujet d’une importance sans borne.
Sans doute serez-vous aussi surpris que moi de l’anecdote que voici. Un jeune père en boisson a dit tout bonnement à un homme plus âgé qu’il était du devoir d’un père de dévierger sa fille. Heureusement, des démarches ont rapidement été faites pour que le père en question ne puisse plus voir ses filles. Le confident a fait son devoir de citoyen en dénonçant cette mentalité malsaine. Restons vigilant, le bonheur de nos enfants est à préserver.
Solie Taire