''Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours.'' Cette citation de Lao-Tseu m'est revenu en tête quand, une fois de plus, je me suis surprise en train de vouloir sortir ma mère du gouffre dans lequel elle s'était empêtrée. J'ai réaliser qu'on ne lui avait pas appris à pêcher, du moins, pas adéquatement. Que tout son entourage cherchait à l'aider, à un moment ou à un autre. Mais que sa propre volonté de s'en sortir était insuffisante. Donc, j'ai souvent eu l'impression d'être la mère de ma mère. Ce n'est pas qu'elle n'a pas pris soins de nous trois, ses enfants; elle nous accompagnait chez le médecin au besoin et nous envoyait à l'école avec une boîte à lunch qu'on pouvait remplir à notre guise. C'est plutôt qu'elle comptait énormément sur nous pour lui remonter le moral et pour guérir ses traumatismes d'enfance. N'est-ce pas là une lourde tâche pour de jeunes enfants? Elle nous répétait souvent que nous étions sa raison de vivre. Je me disais en moi même, qu'il était triste de si peu aimer la vie. Ce que j'entends derrière son message, c'est qu'elle n'est pas suffisamment importante et méritante pour avoir une place dans ce monde.
J'ai à maintes reprises dû lui rappeler de s'accrocher à ce qui l'anime, de s'adonner à ses passions pour ne pas sombrer. J'étais alors une jeune adolescente. Maintenant dans la trentaine, j'ai senti l'urgence de la sermonner de toujours nous chanter la même rengaine. ''Comment penses-tu qu'on se sent quand tu nous dis que tu veux en finir avec la vie? On a pu envie d'entendre ça! On a des enfants à s'occuper. Qui sont d'ailleurs tes petits-enfants et qui ne demandent pas mieux que de te voir! Tu le sais qu'on t'aime tous! Tes appels au secours sont déstabilisants et perturbateurs. Prends ta vie en charge! On en a bien assez sur les épaules sans en plus, devoir constamment te rassurer de l'amour qu'on te porte. Je suis bien prête à t'aider pour trouver des solutions à tes problème, mais je ne peux pas les appliquer à ta place!'' Le tout dit avec un mélange de pleurs et de colère, tremblements en prime. J'appréhendais ce qu'elle allait dire ensuite au bout du fil. À mon grand étonnement, elle s'est excusée de m'avoir bouleversé. Et comme pour m’apaiser, elle déclare qu'elle se plait à dire à ses proches à quel point ses nombreux petits-enfants sont sa raison de vivre. Nul besoin de vous dire que je bouille intérieurement. Quand va-t-elle exister pour elle-même et arrêter de se mettre dans le pétrin?
Selon moi, une personne aux prises avec des dépendances guérit difficilement. Même si tous s'activent autour d'elle pour l'aider. J'ai compris que la situation dans laquelle elle se met en vient à être confortable pour elle. Que tout changements, incluant les améliorations, lui sont douloureux. Alors, que faire pour ma mère? Ne pas me laisser atteindre. Rayonner. Lui donner envie de savourer les petites joies au quotidien. C'est à elle de choisir quelle avenue elle veut emprunter. Si elle n'a pas encore appris à pêcher du poisson, il n'est pas trop tard. Elle n'a qu'à observer comment les autres s'y prennent. Peut-être découvrira-t-elle qu'être sa propre raison de vivre est le plus savoureux des poissons.
une fille presque indigne