jeudi 18 octobre 2018

Petites déchirures et dentelles*

Nous voilà à la croisée des chemins. Il est 22 h, je me fais réveiller par une de ces contractions qui vous noue les entrailles. Mais loin d’être un nœud, c’est plutôt l’heure du dénouement qui approche. Un petit être qui en a probablement assez lui aussi de tous ces assauts. Ça fait 10 jours que mon corps se prépare, plus d’une semaine de latence. Mais demain matin, sans aucun doute, mon ventre sera moins imposant.
Splouch! Il est 1 h 05, mes eaux se répandent sur le matelas posé à même le sol que j’avais protégé au préalable d’un plastique et de vieilles couvertures. 1 h 45, j’entends mon homme aller à la salle de bain. Et oui, jusqu’à ce moment j’étais seule et plutôt silencieuse à l’étage du bas. « Appelle Manon pour savoir où elle en est rendue avec son autre cliente. » Car il faut vous expliquer que j’avais téléphoné à cette dernière, ma sage-femme, vers 17 h pour lui signifier que le travail s’intensifiait et que je la prendrais volontiers à mes côtés. Hors, elle était à la maison des naissances avec une maman qui donnerait la vie pour une quatrième fois. Elle me proposa donc d’aller la rejoindre afin de nous assister toutes les deux.
Tête de linotte ou tête de cochon, mon idée était d’accoucher à la maison. Ma volonté était telle que mon corps est arrivé à se mettre sur le mode « pause ». Il était convenu que nous irions rejoindre Manon dès que mon mari aurait terminé le train (Nous avons une ferme laitière). Plutôt que d’aller à la grange comme à mon habitude, je me suis étendue. 10 minutes dans les bras de Morphée et à mon réveil, les contractions étaient plus espacées. J’en informe donc Manon et lui assure que je l’attendrai pour les poussées, peu importe l’heure de son arrivée.
2 h 45 : Enfin! Une voiture se gare dans la cour. Deux sages-femmes en descendent. (Tous les accouchements se font en équipe de deux pour l’étape de la poussée.) Manon était accompagnée car elle me savait sur les derniers milles. C’est mon mari qui lui a transmis mon message quand il l’avait eue au bout du fil. J’avais dit de lui spécifier que j’avais une sale envie de pousser. J’ai enfin la permission, une heure plus tard, de soulager mon envie d’expulser, pendant que mes invitées tant attendues sortent le matériel.
Manon constate que la tête du bébé est en postérieur (nez vers l’avant) et que la pression des poussées au niveau de l’occiput (région derrière la tête) crée d’importantes décélérations cardiaques. « Il faut que tu sortes ton bébé » me dit-elle. Je comprends vite l’urgence de la situation. À la contraction suivante, je donne tous ce que je peux ; 3 bonnes poussées pour faire descendre la tête du bébé. La décélération du cœur est très marquée. Sandra, l’autre sage-femme, appelle l’ambulance et sort la ventouse sous les ordres de Manon. Voilà la menace ultime qui me donne la force quasi surhumaine d’enfiler 4 mégas poussées à la contraction suivante alors que la ventouse est fixée sur le crane du petit être en difficulté. Je m’invente un souffle que je ne croyais pas avoir à l’instant ou mon joli me dit avec un regard plein d’encouragement. «C’est ça! Pousse encore!» Je comprends alors qu’il n’en manque vraiment pas beaucoup. Je pousse un dernier cri à vous perforer les tympans. Et vlan! Je sens son corps entier glisser entre mes jambes. Quelle délivrance!
Rapidement, le bébé est mis sur mon ventre et couvert d’un linge chaud. Je remarque tout de suite ses longs cheveux pâles (long pour un bébé, on s’entend). Il pleure, ce petit, encore et encore. Je m’empresse de demander d’annuler l’ambulance. «Inquiète-toi pas avec ça, on s’en occupe.» me dit Manon. Elle ajoute qu’un rendez-vous chez l’ostéopathe sera nécessaire le plus tôt possible pour le bébé:  son cou ayant subi une intense rotation de 180 degrés. Je comprends, maintenant pourquoi il pleure tant. Je suis plus occupée à le consoler qu’à connaître son sexe. Après avoir échangé quelques mots avec mon amoureux, je mets la main sous les fesses de l’enfant en m’exclamant« y’a des couilles après ton cadeau!» À chaque année ce sera l’anniversaire de mes deux hommes le 31 mai. Le cordon est coupé seulement quand il n’y a plus de pulsations. Une information pertinente que j’avais lue dans quelques livres ventant les bienfaits des naissances physiologiques.
Pour donner suite au texte «Le pouvoir exclusif des femmes» paru au mois de mai 2018, j’ajoute à l’instant quelques dentelles. Je garde le placenta pour le planter avec ma fille entre nos deux pruniers. Elle n’aura pas assisté à l’accouchement. J’ai plutôt opté pour la faire dormir chez mon accompagnante à la naissance, Francine, une bonne amie de la famille. Cela lui a permis de passer une bonne nuit et d’apprécier sa première rencontre dans le calme avec son petit frère à la chevelure dorée. Et c’est le début d’une relation d’amour fraternel tissé serré.
Une maman médaillée d’or
• Déchirures et dentelles est un recueil de récits de naissance publié par la maison des naissances de l’Estrie. Vous trouverez un exemplaire à la maison de la famille, si vous arrivez à mettre la main dessus. En effet, la richesse des textes qu’il contient en captive plus d’un. Sinon vous pouvez vous le procurer à la maison des naissances de Bromptonville au coût de 35$. Étant magnifiquement illustré, il peut facilement s’offrir en cadeau.

2 commentaires:

  1. Félicitations Roxanne belle plume, il a un cou d'hibou cet enfant. XX

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  2. Bien heureuse de voir que Déchirures et Dentelles fait son chemin et inspire d'autres femmes à prendre la parole pour traduire, transmettre, partager, témoigner de la naissance! Et maintenant à 30$ pour le recueil!

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